"Comment tu t'appelles, fiston ?"
L'uns des non moindres vertu de la lecture du beau "Le dimanche du souvenir", de Darragh McKeon est de nous rappeler que les conflits nationalistes #guerresciviles se finissent toujours, quelque soient les solutions trouvées, mais qu'en revanche, le mécanisme mortifère qui consiste à enfermer son voisin dans une identité détestée laisse au fond des coeurs des uns et des autres, des traces traumatiques indélébiles.
Simon Hanlon, architecte d'origine irlandaise, vit à New York et subit de nouveau des crises d'épilepsie après des années tranquilles. Il avait 15 ans et habitait l'Irlande du Nord quand la première crise est apparue, juste après un attentat commis par l'IRA, en novembre 87, dans sa ville natale d'Enniskillen, ou 11 personnes furent tuées et 63 grièvement blessées.
Quelques jours avant, le jeune Simon, campant sur une ile du lac de Lough Erne, avait surpris des membres de l'IRA en planque "Comment tu t'appelles, fiston ?", l'interroge l'un d'entre eux, Brendan. S'il avait parlé, il aurait peut-être évité cet attentat. Il deviendra épileptique. Avec une grand maîtrise de la construction romanesque, Darragh McKeon, bascule la deuxième partie de son roman autour du personnage de Brendan, jeune paysan aspirant à une vie simple et heureuse, et qui, révolté par l'intransigeance cruelle de Margaret Thatcher avec les grévistes de la faim républicains, finira par laisser grandir en lui la haine de l'autre. Le personnage de Brendan est vu à travers les yeux de Simon, et c'est dans ce chemin fait par "la victime" vers "le coupable" que le roman de Darragh McKeon trouve une bouleversante et necessaire universalité.
Au coeur de l'intime.
.
Avec "La justice des hommes", paru chez Editions POL, Santiago Amigorena nous raconte l'histoire si simple et si universelle d'un couple en crise. Aurélien, suite à une dispute particulièrement forte, commet un acte aberrant qui l'emmène 9 mois en prison. Après avoir refusé de voir sa compagne Alice pendant toute sa détention, il sort de prison et rongé par la culpabilité, est incapable de retourner chez lui, ignorant que sa petite fille de 6 ans a cessé de parler, depuis cette soirée fatale. Comment retisser un dialogue, et un futur pour ce couple traumatisé. Comment réussir à rétablir un dialogue fragile, alors que leur entourage les presse de faire appel à la Justice. Et que fera la Justice, dans cette affaire qui relève de la plus grande intimité. Est-elle la seule, à pouvoir, justement au nom de la "justice des hommes" à pouvoir trouver une solution dans l'intérêt des enfants, ou au contraire, risque t-elle de tout compliquer ?
Santiago Amigorena est un grand écrivain de l'intime, de l'intériorité et de la complexité des sentiments, et l'on est très souvent bouleversés à la lecture de cette aventure si humaine.
"Qu'est ce qui est est juste, quand on ne veut plus la même chose qu'on voulait ensemble ? Qu'est ce qui est juste quand on ne sait plus ce qu'on veut, puisque ce qu'on voulait avant, on le voulait à deux ? Qu'est ce qui est juste quand on ne s'aime plus, mais qu'on n'est pas des loups l'un pour l'autre ? Qu'est-ce qui est juste, quand on est un homme et une femme - simplement un homme, simplement une femme ? "
De sang, d'or, et de mort
Encore une fois, avec "Le portrait de mariage" Belfond, la grande Maggie O'Farrell, dont nous avons tant aimé Hamnet, ou encore I am Iam Iam nous emporte avec le destin de Lucrèce de Médicis, si sensible, si forte, et à la vie si courte. Lucrèce n'aurait jamais du épouser le Duc de Ferrare, avec lequel son père Cosme de Médicis souhaite composer une alliance prometteuse, si sa soeur ainée n'était pas morte prématurément. Qu'a cela ne tienne pour ses parents, et bien sûr quelque soit son avis, on marie Lucrèce, 15 ans, avec le Duc de Ferrare, puissant, ombrageux et obsédé par sa succession. Un an plus tard, la jeune Lucrèce ne sera plus et n'en reste que son portrait, peint par Le Bronzino, le très beau poème de Robert Browning, The Last Duchess ("She had
A heart—how shall I say?")
et maintenant le roman de Maggie O'Farrell.
Elle accomplit ce prodige de nous glisser dans l'intériorité de Lucrèce. Le livre se lit comme "la chronique d'une mort annoncée", et nous ne lâchons pas la main de cette jeune fille empêchée, qui découvre les aspects sombres et somptueux de la riche cour de Ferrare, la beauté de ses palais et de ses jardins, ses intrigues brutales et les différents visages d'un époux ambitieux, impitoyable, et grand amateur d'art. Magnifique plongée dans les beautés et les cruautés de la Renaissance Italienne.
Un formidable roman policier
❗️❗️❗️ GROSSE NUIT BLANCHE EN PERSPECTIVE❗️❗️❗️.
Tension constante avec la lecture de cet excellent polar "Une execution", chez Éditions Buchet/Chastel.
Ansel Packer est dans le couloir de la mort, son exécution est prévue dans 12 heures, il planifie une improbable évasion. Il ne peut pas mourir, il a trop de choses à dire au monde.
Sa mère, Lavender, la soeur jumelle de son épouse Hazel, et Saffy, l'enquêtrice policière qui partagea avec lui la même famille d'accueil et une même enfance fracassée entremêlent leurs récits avec le monologue d'un tueur détaché, aux émotions paralysées. Loin des romans habituels ou l'on explore la psyché tordue du Serial Killer, "Une éxécution" est une tragédie d'une puissante humanité. En interrogeant le sens de la peine de mort tout en imaginant un avenir aux victimes adolescentes du tueur dans les splendides dernières pages, Danya Kukafka nous laisse profondément émus, secoués, solidaires, dérangés, et probablement plus intelligents.
Les choses de la vie
Le titre du nouveau roman de Sigrid Nunez est emprunté à la philosophe Simone Weil, avec laquelle l'auteur entretient une sorte de compagnonnage littéraire. "La plénitude de l'amour du prochain, c'est simplement d'être capable de lui demander : "Quel est ton tourment"?". Cette attention et cette présence à l'autre est le fil conducteur de la merveilleuse oeuvre de Sigrid Nunez, lauréate du National Book Award en 2019 avec "L'Ami", livre profondément drôle et intelligent sur un deuil symbolisé par un gros chien très encombrant, que son propriétaire décédé laisse à une de ses meilleures amies.
On se rend compte, à la lecture de Sigrid Nunez que ne sont pas si nombreux les livres qui évoquent la force du sentiment amical, surtout lorsqu'il est porté à son point d'incandescence qui est le deuil. Dans "Quel est ton tourment ?", la narratrice se voit proposer par une de ses bonnes amies atteinte d'un cancer en phase terminale de l'accompagner dans ses derniers jours ("Tu n'étais pas mon premier choix", lui annonce t-elle drolatiquement d'emblée). L'amie malade a loué une jolie maison dans un cadre poisible et demande à la narratrice de rester auprès d'elle jusqu'au moment tenu secret qu'elle choisira pour se suicider,
Sur un sujet à priori difficile, Sigrid Nunez nous propose un roman d'une grâce infinie, d'une incroyable vitalité, fluide, drôle et renversant sur cette fameuse attention à l'autre, si chère à la philosophe Simone Weil, et sur la vie, "la vie désordonnée. La vie injuste. La vie qu'il faut bien affronter (...), c'est si court, après tout, une vie".