Eric R.

29,90
Conseillé par (Libraire)
15 novembre 2023

SUBLIME: POUR PETITS ET GRANDS

Sublime. La couverture sublime est une invitation à la lecture et au voyage. Le voyage, il va de soi quand le nom de Jules Verne figure en tête d’album, lui l’écrivain nantais qui a consacré toute sa vie d’écriture à raconter des périples sur terre, sur mer ou dans les airs. Le second nom accolé à l’écrivain est celui de Frédéric Pillot, un patronyme qui vous donne carrément envie de décoller. Illustrateur aux deux millions de livres vendus, il était impossible de trouver meilleur compagnon pour Jules Verne.
Lui le mosellan qui a découvert la mer en vacances à St Malo, est devenu un véritable peintre de l’élément liquide avec notamment son fameux Balbuzar, terreur des mers qui navigue sur le rafiot l’Enragé et pille tout ce qui passe. Une image de Pillot, sophistiquée et détaillée, à outrance peut demander des heures d’observation. L’avantage du livre, outre d’éviter de longues stations debout, c’est de pouvoir s’attarder et revenir sur une planche, aussi longtemps et souvent qu’on le souhaite. Celles que vous proposent Deux ans de vacances sont simplement exceptionnelles. On y retrouve bien entendu ces fameuses mouettes (à moins qu’il ne s’agisse de goélands! ou de pélicans!) aux ailes incurvées et aux becs orange aplaties comme des cuillères mais la mer n’est pas la seule invitée de prestige et celui qui illustra notamment les Fabuleuses Fables du Bois de Burrow sait aussi peindre conne nul autre, les animaux, la forêt surtout lorsqu’elle est luxuriante. Cela tombe bien car Jules Verne débute son récit par la description d’un navire, un schooner, en perdition à bord duquel se retrouvent quinze enfants. Pris dans une tempête, après une nuit hallucinante, le navire s’échoue sur une île déserte. Ou habitée? Ils s’appellent Briant, Gordon et Doniphan pour les plus âgés de 13 et 14 ans qui vont veiller sur les plus jeunes. Pour survivre il va falloir explorer l’île et pénétrer dans la forêt. Nous y voilà! Et Pillot remplace le bleu et blanc de l’océan par toutes les nuances possibles de vert invitant le lecteur à scruter, comme les jeunes aventuriers, le végétal pour y découvrir de la nourriture, les dangers possibles, et peut être de véritables brigands.

Heureusement la lumière perce souvent les frondaisons, car roman initiatique de jeunes Robinsons à l’école de la vie, l’optimisme reste de rigueur. Et la morale est sauve: des jeunes courageux et bien éduqués s’en sortent toujours. Venus par la mer nos aventuriers ne pouvaient repartir que par l’océan. Pillot nous ramène donc sur les quais dans une dernière double page à couper le souffle. La magie du livre opère, celle de l’imagination débordante du romancier à laquelle le dessinateur peintre ajoute ses propres images d’évasion, de poésie. A eux deux ils forment de merveilleux transmetteurs de l’imaginaire, cette curiosité que l’on acquiert enfant, parfois à la lumière d’une lampe de poche, sous les draps, et que l’on a envie de prolonger une fois adulte quand les rêves s’éloignent pour laisser la place à des réalités moins poétiques.

18,50
Conseillé par (Libraire)
12 novembre 2023

UNE ENQUETE VERTIGINEUSE

« Nous ne savons rien du saut mais tout des chutes ». Une phrase énigmatique mais qui, en quelques mots, dit tout de l’objet du récit-enquête d’Ariane Chemin. Les chutes sont celles de cinq personnes d’une même famille qui ont sauté un jour de mars 2022 d’un immeuble à Montreux (Suisse), près du lac Léman, les unes après les autres, dans un ordre dont on apprendra plus tard, qu’il était préétabli. ère. « Il était environ 6h45 du matin. Ce fut comme une pluie de corps depuis le septième étage de l’immeuble. Cinq longues minutes avec parfois soixante secondes entre chaque saut ». De cela on sait tout: caméras de surveillance, témoignages de voisins. Mais de l’avant, ce moment où comme dans un scénario déjà écrit, une famille décide sciemment de se donner collectivement la mort, on ne sait rien. Que se passe t’il quand deux gendarmes frappent à la porte de la famille ce matin là pour « exécuter un mandat d’amener (…) en lien avec la scolarisation à domicile d’un enfant », susceptible d’entrainer simplement une amende?

Ce quart d’heure la grand-reporter au Monde à défaut de le reconstituer, va essayer d’en comprendre les fondements et les raisons au long d’une enquête pleine d’empathie, cherchant à s’extraire des conclusions rapides de journaux avides d’explications simplificatrices. Les médias cherchent des explications dans des faits divers antérieurs. Et puis s’arrêtent, faute de rebondissements, de faits avérés. Il y a mieux à faire, la Russie a attaqué l’Ukraine. Les drames du monde se multiplient. Le silence retombe sur ce paisible lieu idyllique. Alors Ariane Chemin, prend son temps comme elle le fait souvent seule, ou avec sa collègue Raphaëlle Bacqué, dans ses enquêtes faites d’entretiens, d’écoute, dégagée de la nécessité d’explications rapides et simplificatrices. L’article n’est pas pour demain. Il est pour quand cela possible. De rencontres avec le porte-parole de la police cantonale vaudoise, ou avec Michel Tabachnik, chef d’orchestre ancien membre de la secte du Temple solaire, de balades autour du lac à la visite d’une maison abandonnée à Vernon, la journaliste s’attarde de plus en plus sur un patronyme qui devient le coeur de l’ouvrage, comme une obsession susceptible de fournir des clés d’explication du drame: Mouloud Feraoun, un écrivain kabyle qui fut assassiné en mars 1962, presque soixante ans jour pour jour avant les « chutes », par une équipe de l’OAS. Feraoun est le patronyme des deux soeurs jumelles, petites filles de Mouloud. Deux générations, un même nom, une même origine algérienne, un même drame familial: « On ne peut pas porter le nom de Feraoun et mourir de cette façon, soixante ans très exactement après l’assassinat, sans qu’il y ait un lien ou au moins une piste à explorer… » déclare à l‘enquêtrice, Amine Benyamina, psychiatre.

C’est cette piste que le livre finalement poursuit, en interrogeant des réminiscences historiques qui racontent entre les lignes des épisodes de la guerre d’Algérie et des traumatismes de ces années où la peur des autres crée des instabilités psychologiques importantes. Cette peur des voisins, des collègues, des amis, tous susceptibles d’être de potentiels ennemis, qu’a suscité l’état de guerre va peut être, même à distance temporelle, intervenir dans la construction d’une famille composée de personnes intellectuellement brillantes qui va perdre peu à peu le contact avec la réalité pour rentrer dans une paranoïa collective que la crise de la Covid va accentuer.

Au moment de la conclusion un gouffre s’ouvre sous les yeux du lecteur: quelle part du passé traumatique de nos aïeux nous accompagne dans notre quotidien? La réponse que donne l’enquête est vertigineuse.

Conseillé par (Libraire)
3 novembre 2023

Un conte poétique

C’est ainsi. On peut difficilement l’expliquer mais ouvrir un livre de Hayao Miyazaki c’est entrer en poésie. A peine après avoir tourné quelques pages, lu quelques mots et la magie opère. Le dessin léger aux couleurs douces, les ciels étoilés et les vagues déferlantes, les visages enfantins ou terrifiants, les tentatives d’explications sont nombreuses et toujours incomplètes. C’est ainsi depuis toujours comme le démontre encore Le voyage de Shuna, publié pour la première fois en France, quarante ans après sa création au Japon. En feuilletant l’album, nous sommes en terrain connu et les références aux oeuvres déjà publiées dans l’hexagone sont nombreuses, comme un fil logique et cohérent dont Le voyage de Shuna serait le début et le film qui sort actuellement Le garçon et le héron, la fin provisoire.

Inspiré d’un conte tibétain, l’histoire débute « au fond d’une ancienne vallée, creusée par un glacier » où « se trouvait un petit royaume oublié de tous ». Installés en milieu hostile, les habitants meurent de faim. Le jeune fils du roi, Shuna, décide de partir à la recherche d’une céréale miraculeuse, l’orge, qu’un étranger à l’article de la mort a trouvé loin, très loin dans les plaines de l’Ouest. Contre l’avis de son père il selle et chevauche son yakkuru pour un périple qui le mènera peut être vers les graines espérées mais d’abord dans l’univers des êtres divins, un royaume « où nait et retourne mourir la lune ». Les rencontres seront nombreuses, terrifiantes parfois, mystérieuses toujours, comme ces géants qui chancellent dans les forêts dévorés par de petits animaux avant de disparaitre. Mais comme souvent chez Miyazaki, le voyage permet aussi de découvrir des êtres bienfaisants, doux et tendres. Ici, c’est Théa et sa petite soeur, retenues par des marchands d’esclaves, libérées par Shuna, qui termineront le voyage.

On pourrait penser en lisant ce résumé qu’il s’agit d’un scénario pour un film d’animation comme Miyazaki aime les créer. La lecture confirme cette sensation de voyages visuels où l’écrit compte moins que l’image. Les mots sont là pour assurer la transition des dessins. Nombreuses sont les ellipses, multiples les raccourcis et les zones d’ombre comme si la succession des dessins suffisait à susciter l’intérêt des lecteurs telle une frise qui se déroulait devant ses yeux. Alors on fait avec Shuna d’abord un voyage visuel dans un univers dont il nous dit qu’il a « pu se dérouler il y a fort longtemps » ou « dans un lointain futur ». Une alternative identique aux atmosphères radieuses et lumineuses de vallées ensoleillées et aux ambiances sombres, nocturnes et menaçantes de la cité des esclaves auxquelles le créateur nous a habitués. Crayon de bois et fluidité de l’aquarelle assurent la trame de ce film qui se déroule devant nos yeux émerveillés. On a presque envie de se passer de la bande son, ce que l’on peut faire après une première lecture, pour tenter de percer le mystère du trait et des couleurs de Miyazaki. On se laisse alors envoûter par ces double-pages réalistes ou oniriques, par ces lumières qui éclairent les montagnes aux sommets enneigés ou ces grandes étendues de sable comme survolées par un lecteur en apesanteur.

Graphiquement mais aussi d’un point de vue narratif, Le voyage de Shuna annonce les héroïnes et les héros futurs de Miyazaki. La détermination et l’impétuosité du personnage principal, l’amitié, sont présentes mais d’autres thèmes en gestation apparaissent déjà: la maltraitance de la nature, la mondialisation et l’égoïsme forcené des peuples, la mise en esclavage des plus faibles, la famine organisée à des fins de profits. Même les Dieux ne ressortent pas indemnes du récit. Autant de thématiques récurrentes qui résonnent quarante ans plus tard dans une actualité féroce et désenchantée.

Futuropolis

20,00
Conseillé par (Libraire)
4 octobre 2023

SUPERBE ET INTIME

Se présenter à poil pour un rendez-vous. Ce n’est peut être pas ce qui est conseillé même s’il s’agit d’un rendez-vous amoureux. En l’occurrence, il s’agit bien d’un rendez-vous amoureux, celui d’un homme d’âge mûr, Louis, avec une ancienne chérie, celle d’une « période heureuse de sa vie. Avec elle. » Elle s’appelle Agathe. Elle habite sur le bord de Loire près des ponts de Cé. C’est pour elle que Louis revient à sa demande. C’est pour elle qu’il se dévêt. Pour elle ou pour le fleuve? Il n’est pas le seul à être invité, ou convoqué. Il y a là Jalil, Suzanne, Nicolas. Il en manque d’autres, notamment José, qui va se contenter d’adresser un mel. Agathe va se faire attendre, désirer, le temps pour les quatre compères de se trouver, de se remémorer, de raconter leurs vies d’avant. De parler de tout, sauf de leurs vies d’après.

Agathe est absente mais la Loire est omni présente. C’est elle qui va veiller sur les souvenirs des amants, les ressusciter, rendre la vie aux plongeons sous l’orage, faire entendre le doux murmure du passé. Autour de l’absente et de la présente, une discussion silencieuse s’instaure. Elle prend les sonorités colorées d’une journée ensoleillée sous les frondaisons d’un arbre gigantesque que l’on a envie de serrer très fort comme on a envie de serrer Agathe. Elle claque comme la foudre et ruisselle comme la pluie après l’orage. Elle déborde enserrant les maisons de tuffeau de ses vaguelettes ou elle s’assèche quand les mots deviennent insuffisants pour dire la vieillesse, le temps qui passe, les amours anciennes. Les possibles filiations.

Cette discussion Davodeau dans de précédentes Bd, aimait nous la raconter avec ses personnages autour d’une table, le soir, sous un ciel étoilé, un verre de Muscadet à la main. Loire, renoue avec l’intimité amicale, amoureuse, de Lulu femme nue, ou de Rural. On se dit à ce moment là, sous la tonnelle, les choses essentielles, celles que le quotidien ne permet pas d’exprimer. Le fleuve témoin permanent aide aussi, au moins autant que le verre de rosé à dire:

« Est ce qu’un fleuve en nous parlant de lui, peut nous parler de nous? De nos façons de le considérer? De nos façons de vivre? ».

Encore faut il l’écouter et le regarder, le fleuve. Dans le silence de ces pages, avec souvent des images panoramiques qui se superposent les unes au dessus des autres, Davodeau nous invite à écouter le murmure du fleuve. A l’aimer comme Louis et les autres ont aimé Agathe. Il nous la montre comme seul un amant peut la décrire. Langoureuse et tendre au petit matin quand les étoiles ont fui le firmament. Exigeante et remuante, désireuse, quand Louis la pénètre à la nuit tombante. Jaune et orangée quand le jour s’achève, vaincu et épuisé. Les aquarelles de Davodeau lui déclament un magnifique chant d’amour.

Dans Le Droit du Sol, son ouvrage précédent, le dessinateur racontait son périple pédestre de 800 km entre les grottes rupestres de Pech Merle et les lieux d’enfouissement des déchets radioactifs dans la Meuse. Il disait notre responsabilité dans la destruction possible de notre planète. Avec Loire, en utilisant cette fois-ci la fiction, il prolonge son combat écologique mais en utilisant le récit de l’intime et en vantant la beauté de notre Terre. Il est tout aussi efficace.

Si à votre tour vous avez envie de retrouver Agathe, sa présence, sa mémoire ou ses cendres, allez faire un petit tour entre Savennières et Rochefort, du côté de Béhuard peut être. Si elle n’y est pas ce n’est pas grave. Loire est là. Elle n’a pas besoin d’article défini devant elle. Elle se suffit à elle même.

Conseillé par (Libraire)
29 septembre 2023

ACCESSIBLE ET INEDIT

En feuilletant ce beau livre, la lectrice ou le lecteur, habitué(e) aux ouvrages consacrés à la peinture se trouvera probablement, en terrain connu. Sur les pages de droite, quatre vingts tableaux, sur les pages de gauche, le nom de l’artiste, le titre de l’oeuvre, la date de sa réalisation et un commentaire d’une page. Du classique et du traditionnel pour dire une histoire de l’art qui débute avec les gravures de la grotte Chauvet et s'achève avec les provocations contemporaines de Kara Walker. L’iconographie choisie ne prend pas systématiquement le contre-pied des ouvrages traditionnels. On y retrouve la Desserte, Harmonie Rouge de Matisse, l’autoportrait de Paula Modersohn-Becker, le Cri de Munch, autant d’oeuvres incontournables qui côtoient parfois des choix plus originaux comme les Deux Crabes de Van Gogh ou La Blouse verte de Bonnard. Les grands noms incontestés sont présents mais pas obligatoirement pour leurs oeuvres emblématiques.

Classique avec une volonté d’originalité ponctuelle, les choix subjectifs, épousent cependant l’air du temps. Les artistes femmes sont ainsi beaucoup plus nombreuses que dans beaucoup de rétrospectives antérieures. On retrouve bien entendu Suzanne Valadon, Berthe Morisot mais aussi des peintres moins connues comme Angelica Kaufmann, Lavinia Fontana ou encore Clara Peeters, artistes antérieures au XVIII ème siècle, période qui n’a souvent retenu que les noms de leurs homologues masculins.

C’est en fait l'approche chromatique de chaque tableau qui fait l’originalité de l’ouvrage, une approche que symbolise en bordure de page, une colonne déclinant la palette de couleurs utilisée. C’est bien en effet sous le prisme de ces palettes de couleurs que sont examinées à la fois les oeuvres choisies, dont on comprend alors la sélection pour leur originalité chromatique, mais aussi qu’est expliquée l’évolution de la pratique picturale au fil des siècles.

De même que l’évolution de la technique des appareils photos, a transformé l’art photographique, permettant de passer des poses figées des daguerréotypes aux photos de sports, la peinture a suivi l’évolution, peu connue, des produits et des supports utilisés. Les Hommes de Lascaux ne disposaient que de quatre couleurs alors qu’un artiste d‘aujourd’hui peut utiliser dix mille références répertoriées. La représentation picturale au fil des siècles s’infléchit ainsi au gré des progrès de la science en matière de couleurs. En changeant son liant et en remplaçant la détrempe à l’oeuf par un mélange de pigments, d’huile de lin et d’huile de noix, Van Eyck a modifié à jamais la luminosité des oeuvres futures. On sait que la peinture impressionniste, saisissant l’air du temps sur le motif, doit beaucoup à l’innovation des tubes, mais on ignore beaucoup plus souvent que l’invention du bleu de Prusse en 1704, premier pigment synthétique, ouvrit encore beaucoup plus de perspectives. « Maintenant qu’un chimiste avait découvert comment fabriquer du bleu de façon artificielle, d’autres allaient suivre (…) » permettant de démultiplier les vingt pigments de couleur naturelle utilisés jusqu’alors. Ce n’est pas une histoire des couleurs, chère à Michel Pastoureau, que nous propose l’autrice mais plutôt une histoire scientifique de leur évolution et de leur traduction dans les tableaux des artistes.

Cette inter connexion rarement décrite est ici utilement développée et nous offre une agréable et ludique visite d’un musée imaginaire, riche de mille couleurs. Ou de leur absence.