Tumultueux
Masao vit seul sur l'île de Naoshima. Un jour, après le travail, une jeune femme l'attend. Harumi, sa fille qu'il avait perdu de vue depuis bien longtemps déjà, est là.
Leurs retrouvailles sont sans emphase, presque silencieuses et pourtant de cette re-rencontre vont surgir les souvenirs alors enfouis. Masao se souvient...de la mère de sa fille, Kazue et de l'amour inconditionnel qu'il lui portait. De leur rencontre à la naissance d'Harumi, puis de ses années d'errance, lorsqu'il était gardien de phare...
Et ce lien à la mer, indéfectible et ambivalent, ravivé par la présence de cette barque. Une barque construite de ses mains, devenant le symbole d'une renaissance...
Antoine Choplin exprime avec pudeur et retenue le tumulte des sentiments d'un homme pour celle qu'il a aimé, d'un père pour sa fille. La vie est ainsi faite, sinueuse et agitée, à l'image de la mer, omniprésente ici. A la fois séduisante et redoutable.
Un roman d'une grande délicatesse, qui laisse une empreinte particulière, celle d'une vive mélancolie.
Redoutable
Flamboyant. Armand et Birke sont de ces coups-là. Comédiens érudits, ils alternent les grands rôles du répertoire. Les années passent, le temps ne laisse aucune empreinte sur leur corps. Leur sexualité ne cille jamais. L'appétit est là dans toute son acception.
Légère ombre au tableau : leur fille Miranda qu'ils adorent au demeurant, ne brille pas par son extravagance ni par son audace. Elle leur semble même un peu terne dans ses frusques trop grandes et un peu moches. Et comble du désarroi, aucune passion ne l'anime.
C'est par la voix de son père Armand que nous faisons la connaissance de Miranda et de leurs vies respectives. Le ton est assuré et peu sujet à équivoque. Armand parle de sa femme Birke, qu'il adule, de lui-même qu'il apprécie beaucoup, du théâtre et de Miranda, avec qui il entretient une relation tendre et aimante...bien que critique.
Survient alors dans une deuxième partie bien distincte, le point de vue de Miranda. Nous voilà propulsé dans la psyché complexe de cette jeune fille. Et bien sûr, c'est une découverte totale. Cette fille là ne ressemble en rien au portrait dessiné par son père. Et c'est brutal.
Ce roman a cette particularité propre à certains romans denses et alambiqués : celui de vous agripper et de ne plus vous lâcher. Le style et la forme y contribuent fortement. La fluidité et la précision de la langue, le ton direct et cru. Les thématiques nombreuses. La parentalité et ses affres, la transmission de ses névroses (à plus ou moins haute dose) Ici le narcissisme exacerbé du père et de la mère semble bien avoir influer sur le comportement de leur fille, mais bien sûr pas que...les pistes d'un tel échec sont multiples et méandreuses…
Un roman hypnotique à bien des égards, cruel et fichtrement glaçant.
Brillant
En 1972, au cœur de la Californie hippie, un couple d’américains, un français et un norvégien - quatre jeunes et brillants étudiants de l’université de Berkeley - travaillent sur un rapport qui fera date. Celui-ci, en analysant l’évolution de la société et de la surconsommation dans un univers contraint, prédit de manière incontestable l’effondrement du monde au milieu du XXIème siècle.
« Cabane », retrace le parcours et la dérive de ces chercheurs qui, seuls au milieu de la douceur des 70’s, ont vu venir la catastrophe écologique qui menace aujourd’hui de nous emporter par le fond.
Un texte au souffle rare qui balance entre l’analyse sociétale et le thriller. Après « le voyant d’Étampes » Abel Quentin confirme un talent hors du commun pour pointer les raisons du désenchantement contemporain. On peut d'ores et déjà prendre le pari que
« Cabane » figurera en bonne place dans les prochains prix littéraires.
On the rail
Ca commence gaiement par une note enthousiasmante (et ironique hein) de l'éditeur nous mettant en garde contre certaines redondances de l'auteur (ce nouveau roman ressemblant de près à son précédent "Roman fleuve", comme un copié collé avec une fin bien plus terrible terminant "en jus de boudin" (sic)).
Nous voilà prévenue, le ton est donné d'emblée. L'histoire ainsi contée promet d'être aventureuse ! Ça badine déjà et ce n'est pas pour nous déplaire !
Cette fois-ci le narrateur s'intéresse aux hobos références à l'appui de Jack London, Jim Tully à Ted Conover. Qu'à cela ne tienne le voilà décidé, affublé de son comparse Simon un Breton de belle facture et fier de l'être, de partir tel un hobo sans bagage et clandestinement à bord de trains de marchandises pris à la volée.
Les élucubrations de notre narrateur sont toujours aussi sympathiques et érudites, les situations plaisantes. On se laisse gentiment porter par la prose bien sentie de Philibert Humm et vogue la galère !
Fronde et résistance
Iran, 2006. Zahra naît 3 semaines après terme, serait-ce le signe avant-coureur d'un tempérament frondeur ? Sa mère la nommera alors Bad-jens (au sens d'effrontée en persan) comme pour appuyer cette différence et anticiper ce tempérament impétueux, cet esprit de résistance dont elle fera preuve.
Méprisée et mise au ban par son père dès la naissance, elle n'aura de cesse de combattre ce patriarcat redoutable et liberticide. Avec l'aide précieuse et discrète de sa mère, elle s'émancipera progressivement et non sans heurts…
Un portrait enflammé et bouleversant d'une jeune femme avide d'égalité et de liberté dans un pays où la charia régente tout, opprime et condamne.
Un style alerte et percutant, le monologue de Zahra/Badjens sonne juste et durement, un roman d'une célérité vitale comme un hommage vibrant à une génération éprise de Liberté.